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INTERVIEW

Interview with L A R A   N I C K E L

Questions by THE PRODUCT DIVISION

for Uncompromising Tang 

LARA NICKEL: Tout d'abord, je pense qu'il est important d'expliquer que je fais de la peinture à l'huile sur toile, mes sujets sont grandeur nature, animal, plante ou objet. Mes peintures sont réalistes, ont un fond blanc et elles sont disposées de la même manière que le sujet de la peinture serait en réalité (au sol, en hauteur, derrière quelque chose, etc...)

Conséquemment, le sujet de la peinture est poussé en avant dans l'espace, faisant de la pièce elle-même le cadre de la peinture. En poussant l'image peinte du sujet dans l'espace de la pièce, le sujet parait être directement dans l'espace physique de l'observateur. La peinture devient alors objet. L'idée de peinture comme objet est semblable d'une certaine manière aux oeuvres de Ellsworth Kelly, Frank Stella ou Jo Baer. Cependant, je suis intéressée par la facon dont une peinture peut se comporter comme un objet tout ayant pour thème un sujet représentationnel.

the PRODUCT DIVISION: Pourquoi êtes-vous attirée par la nature (plantes, animaux) pour explorer le thème de la peinture comme objet?

 

LN: La peinture comme objet est une idée compliquée et chargée, je ne veux pas dévier de cette idée en choisissant un sujet trop lourd (comme tout ce qui peut avoir trait aux humains: politique, race, genre, religion, émotions).Je peins souvent des plantes et des animaux parce qu'ils sont plus anonymes et donc plus versatiles, plus espiègles que d'autres sujets. Bien sûr, il y a certaines connotations entourant plantes et animaux- certains sont exotiques, en voie de disparition, laids, domestiques ou majestiques; certains ont leur propre histoire dans un contexte artistique. Cependant ces particularités s'ajoutent ou sont asssez flexibles pour laisser place à mes autres intérêts dans l'art, gravitants autour de cette idée: comment faire en sorte que la peinture se comporte comme un objet.

Un exemple est ma récente série de peintures de plantes. Comme les plantes sont naturellement très scupturales, j'ai décidé de mettre l'accent sur cette qualité en présentant ces peintures d'une manière plus tri-dimmensionnelle – pas complètement collées au mur, couvrant diagonalement le coin d'une pièce, trop proches l'une de l'autre- à la maniere dont les plantes se comportent réellement dans des espaces extérieurs/intérieurs.Un autre exemple est Zebra + Straw (Zèbre + Paille), oeuvre qui réunit trois différentes peintures: la peinture d'un zèbre accrochée au mur verticalement, le bas du cadre reposant au sol et deux peintures représentant de la paille, disposées horizontalement au sol, devant le museau du zèbre. Les trois peintures interagissent entre elles à travers leurs différentes surfaces et leurs différents points de vue. La façon dont ces peintures sont disposées déplace et change le point focal de la peinture traditionnelle (“peinture traditionnelle”: toile étirée sur un cadre, à la différence d'une fresque).

tPD: Est-ce que les sujets de vos peintures sont toujours grandeur nature?

 

LN: Oui, mes peintures et mes dessins sont toujours grandeur nature et anatomiquement corrects. Je fais très attention, je mesure et recherche mon sujet avant de commencer à le peindre. C'est un aspect important de mon labeur car je travaille entre les traditions de la peinture illusionniste et de la peinture comme objet. Le fait que mes peintures soient réalistes et grandeur nature met en avant l'idée d'illusion (espace pictural) et de même met en avant l'idée que le sujet est réel, existant dans un espace et un temps réel (espace physique).

tPD: Vous considérez-vous tout d'abord et principalement une peintre?

 

LN: Je me considère comme une peintre, bien que j'utiliserais plutôt l'expression “peintre basée sur l'installation”. La signification de mes peintures vient pour moitié de la manière dont elles sont installées et interagissent avec un espace. Sans ce côté “installation” de mon travail, mes peintures seraient ennuyeuses – elles deviendraient simplement des portraits d'animaux et de plantes. Je ne me considère cependant pas comme une artiste faisant uniquement des installations, j'essaie de changer la façon dont le public interagit avec la peinture. Je veux que les gens se penchent au-dessus d'une peinture, qu'ils la cherchent, qu'ils regardent tout autour d'une pièce, qu'ils -peut-être - ne la trouve pas mais qu'ils sachent qu'elle est là, quelque part. Meme si c'est subtil, je veux que mes peintures animent leurs espaces, leurs pièces – qu'elles donnent aux murs, sols et plafonds un rôle actif dans l'expérience de l'observateur. J'essaie d'empêcher la peinture de devenir simplement une décoration et les murs simplement un endroit à décorer.

tPD: Pourquoi avez-vous choisi la peinture comme moyen d'expression, plutôt que la photographie ou la sculpture?

 

LN: Je ne suis pas attirée par le processus de la peinture. Peindre est lent et fastidieux et je suis comme tout le monde- je veux être gratifiée instantanément. Mais au plus j'ai pu apprendre sur l'histoire et la théorie de l'art, au plus j'ai voulu devenir une peintre. La peinture a une histoire longue et établie, pleine d'attentes sur comment et où et qu'est-ce qu'une peinture doit être. Plutôt que de contredire ces règles héritées, je suis intéressée par les manières de jouer avec ces règles et je veux relever des aspects de la peinture qui sont largement négligés, bien qu'ayants existé depuis des centaines d'années.Alors pourquoi est-ce que j'essaye de faire de la peinture un objet... pourquoi ne ferais-je pas simplement de la sculpture?Une peinture peut être à la fois un objet et une fenêtre dans un autre monde; une sculpture ne peut être qu'un objet. Quand la peinture expose le fait qu'elle soit tri-dimensionnelle – quand elle expose sa propre matérialité- elle a la capacité d'exister dans notre monde tout en existant dans le sien. C'est une idée puissante et troublante que je ne comprends encore pas vraiment. La peinture a tellement de potentiel inexploré que son côté fastidieux en vaut totalement la peine!

tPD: En tant que culture du matérialisme, nous semblons être obsédés par la représentation et l'authenticité, êtes-vous d'accord?

LN: Nous sommes obsédés par le fait de créer de l'art, peu importe la forme, le style, afin de représenter nos idées et émotions. Une des raisons pour laquelle nous faisons de l'art est de rendre tangibles nos émotions et nos idées abstraites – pour essayer de nous rapprocher d'elles conceptuellement et physiquement. Partant de ce constat, tout art est représentationnel et nous est très important en tant que culture.

Je pense que nous sommes obsédés par notre envie que les choses soient authentiques, jusqu'à croire qu'une chose est authentique alors qu'elle ne l'est peut-être pas. Nous essayons de rendre certaines choses plus intéressantes qu'elles ne le sont vraiment, spécialement dans le monde de l'art. La plupart des “vraies idées” et des “idées originales” prennent beaucoup de temps à trouver et encore beaucoup de temps à développer et raffiner – et cela prend à nouveau beaucoup de temps pour articuler cette idée de manière authentique et pertinente. La majeure partie d'entre nous n'est pas prête à attendre, à faire le travail, à passer le temps nécessaire, nous sommes paresseux et éventuellement effrayés par l'échec. Les artistes vraiment interéssants ont pris toute leur vie pour construire et reconstruire, à partir d'une ou deux authentiques idées de base. “ Rome ne s'est pas faite en un jour”.

 

Quand à ce qui concerne ma pratique, j'espère avoir le temps de construire quelque chose d'authentique, qui représente précisément mes idées. J'espère pouvoir me faire une place dans l'histoire de l'art – quelque chose qui me survivra dans l'histoire. J'espère pouvoir regarder en arrière, voir mon oeuvre et dire: “j'ai fait cette pyramide”, “c'est ma Rome” - j'espère que ce sentiment l'emportera sur n'importe quel sentiment de satisfaction instantanée. J'espère que je n'aurais pas peur de travailler comme une bête pour y arriver.

tPD: Avez-vous rencontré certains défis en présentant les oeuvres de façon non conventionnelle? Est-ce que la peinture porte toujours beaucoup d'attentes traditionnelles ?

 

LN: Il y a eu de nombreux artistes dans les 150 dernières années qui ont offert de puissantes alternatives à notre façon de comprendre et d'interagir avec la peinture, ces artistes étaient ou sont en rupture avec la tradition, sans pour autant essayer de la détruire. Brièvement, cette tradition nous dit que la peinture doit être accrochée au mur au niveau de l'oeil, être bien éclairée, encadrée et doit agir comme une fenêtre dans un autre monde - avoir une certaine qualité transportative/transcendantale. Ainsi la peinture devrait être soigneusement préservée puisque précieuse. Oui, ces expectations sont vivantes, bien portantes et habitent dans une forteresse!Beaucoup de gens aiment mes peintures à un niveau basique – ils sont séduits par leur réalisme, par leur précision. Parfois, ne comprennant peut-être pas immédiatement pourquoi j'insiste pour les montrer de manière non conventionelle (horizontalement au sol, en partie ou complètement cachées, perpendiculaire à un mur), certains résistent contre ce mode d'exposition. Si quelque chose est bien fait, pourquoi voudrais-je compliquer leur point de vue? Le but des arts visuels n'est-il pas de pouvoir les voir et de les voir clairement? Beaucoup de gens veulent que mon travail soit décoratif, ils veulent que mon travail soit accrochée au dessus du canapé, ils veulent l'enlever du sol, l'encadrer, mieux le protéger des choses de la vie quotidienne ( comme le balai, les enfants, les animaux domestiques). Mais mon travail n'est pas décoratif, il peut-être beau mais il n'est pas décoratif - c'est là que le public est confus.

Mon travail référence la façon dont nous avons interagi avec l'art tout au long de l'histoire, notamment à travers le cadre du musée. Les musées nous ont appris comment exposer l'art, comment le regarder, le préserver et l'expliquer. C'est la “maison” historique de l'art et c'est dans ce cadre que ma peinture fonctionne le mieux ( c'est le lieu où prospère la tradition de la peinture: ce à quoi mon travail fait référence). La galerie est un lieu trompeur, sa façade est l'image d'un musée (un espace propre et neutre), mais éventuellement le but est de vendre les oeuvres que l'acheteur emmènera chez lui (qui souvent n'est pas un endroit propre et neutre). Cela rend mon travail difficile à vendre mais je ne veux pas changer mes concepts. Il faut assumer la responsabilité de son oeuvre, ce à quoi on donne le jour, et cela signifie donner suite à une idée même si l'on éprouve des doutes et de la résistance de la part des autres.

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